samedi 26 janvier 2008

Divagations matinales

L’épicurisme à son paroxysme, ou comment être heureux à des milliers de kilomètres de tout et à quelques centimètres, quelques millièmes de secondes de l’autre. Cet autre là me pose un défi, ou c’est toute seule que je me l’impose, je ne sais plus. Le sujet : où se trouve le Bonheur ?
Réponse : dans l’immédiat, il est dans ce verre d’eau transpirant de la douce fraîcheur de son contenu sans cesse revigoré par ces petites choses éphémères que l’on nomme glaçon. Oui le bonheur c’est ça : un bon verre d’eau fraîche, quand on a soif. Deuxième condition prépondérante, plus on a soif, plus on apprécie cette eau qui soudain apparaît comme miraculeuse.
L’eau c’est la vie, c’est normal. Faisons donc une comparaison toute bête, imaginons que l’eau ce soit le bonheur. Tout s’explique donc. Les gens que j’ai le plus vu heureux, les vrais épicuriens, sont ceux qui souffraient le plus. Les destins tragiques forment des personnalités hors du commun, dans le bon comme dans le mauvais côté. Et paradoxalement, cet extra-ordinaire devient en fait la simple capacité à apprécier les choses pour ce qu’elles sont dans le présent, pour le réconfort qu’elle apportent dans l’instant.
Le bonheur, pour le moment, avec ce verre d’eau, c’est donc l’instant où sentant le goût frais et délicatement fruité de cette eau, je me sens désaltérée. Rien de plus, rien de moins.

Une entrée en matière pour le moins surprenante. Certes, mais lorsqu’on a rien à dire, on divague, c’est bien connu. Quelqu’un m’a dit que je pouvais bien parler des glaçons si je voulais, ou de mes vadrouillages nocturnes. Je m’exécute donc.

La No-life, c’est rester chez soi à ne rien faire. Je suis passée experte en la matière. Mais en fait ce n’est pas le Rien, qui n’existe vraisemblablement pas. C’est au contraire s’abreuver d’une vie, qui n’est pas la notre. Lire, écouter de la musique, regarder des films, tenter quelques accords de guitare. Ca vous remplit une journée en un rien de temps, et le temps, alors s’abollit, les jours passent lentement et on a l’impression d’avoir vécu mille choses au travers de ces histoires d’autres qu’elles sont belles à entendre, belles à voir ou à imaginer. Car l’élément important de la No-life, c’est l’imagination. Avec son imagination on peut voyager partout, comme l’exprime si bien le film Le scaphandre et le papillon. On est de toutes les façons toujours enfermés quelque part, alors tant que ce n’est pas dans notre tête ça va.
Tout ça pour dire que Buenos Aires prête autant à la No-life qu’à vivre sa vie. La sienne, qui n’appartient qu’à nous, avec nos décisions, nos erreurs et le concert de conséquences qui va avec. On peut vite s’y retrouver seul, et trouver des gens avec qui parler est chose aisée.

Je suis radicalement passée de l’un à l’autre et le résultat est clair. J’ai pris mes pieds, mes lunettes et nous sommes ensembles allés dans un bar. Un bar censé être un « pub », mais qui n’a de ce qualificatif que la réputation, infondée. Il y avait des gens, avec leurs amis, des jeunes hommes et des jeunes filles, je dois l’avouer presque tous beaux. Il semblerait qu’il y ait des endroits où ils aiment se rencontrer, échangeant de beaux sourires, et de beaux souvenirs, tout aussi vides de véritables sentiments qu’ils sont éphémères. J’y suis donc entrée armée de mon plus beau sourire et de mes chaussures violettes (les deux au même niveau, au ras des pâquerettes), je me suis nonchalamment dirigée vers le bar, scrutant autour de moi et tentant de m’approprier ce nouveau lieu. Je ne pourrais pas être aveugle, c’est déjà assez compliqué d’affronter l’abyme existentiel, si en plus il doit être omniprésent et presque palpable, …. Bref, je suis donc au bar, et bien sûr vu que c’est bondé, il y a du monde, il faut attendre pour être servi, ce qui est quand même fort regrettable vous avouerez. Or, généralement les gens civilisés dans des lieux qui ne le sont pas moins, discutent en attendant leur prochain.

Je peux donc vous l’avouer à présent je pourrais être une vraie lifeuse, une de celles qui trouve toujours quelque chose à dire, un sourire niais sur les lèvres. Quand on est seul surtout, il y a moins de difficulté à venir vous parler (oui de l’aveux de certains, je peux parfois faire peur, en monstre glacé que je suis). Il suffit alors d’animer la sympathie chez l’autre.

C’est comme pour danser le tango. Explication : il y a des codes, comme une cérémonie avant que deux partenaires se choisissent. Tout est jeu de regard, attention à la moindre réaction faciale de l’autre (d’où l’avantage bien reconnu de voir, c’est beau les sens). En clair, l’homme scrute son élue, qui si elle est d’accord répond par un simple sourire, et si non, elle se contente de détourner le regard. C’est pour cette raison simple que dans un lieu où se danse le tango il est conseillé d’éviter de scruter avec attention tous les faciès burinés de l’assistance sous peine de se voir proposer des choses indécentes, comme une danse.

Dans un bar, la cérémonie reste la même. Je suis fascinée par toutes ces petites différences d’un pays à l’autre, bien qu’incapable de les énumérer. Ma socialisation à la façon d’une sociologue en herbe (ras des pâquerettes je vous disais) consiste en l’observation attentive et presque religieuse des jeux cérémoniques des lifeurs aériens. Le constat ? il vaut mieux être accompagnée légèrement que pas du tout. Être seule pourrait conférer un avantage, le libre arbitre et la libre décision (non ce n’est pas la même chose), mais un inconvénient aussi : être métisse, française, s’exprimer relativement bien dans trois langues bien définies, et en plus avec des lunettes et des chaussures violettes, ça fait beaucoup en une seule fois. Beaucoup trop, de monde, de tables et de chaises, de gens beaux, de finitude humaine (ça c’est juste pour faire genre que je pense, mais c’est un leurre, vous êtes prévenus).

Alors bon, dans un sens vous allez vous dire que je me suis ennuyée, toute seule, ou que d’autres se sont chargés de cette tâche hardie. Mais non, en fait j’en ai bien profité, j’ai discuté avec quelques personnes ravies de me faire découvrir leur français médiocre ou de me faire constater qu’ils parlent italiens aussi mal que je le comprend. Et en définitive c’était drôle, de voir mes semblables ainsi se voiler la face sur ce qu’ils sont, des gens beaux avec du rien dedans, ou parfois et c’est plus intéressant, une apparence de rien avec ce petit truc qui vous fait penser : j’aime bien la vie.

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